Better Call Saul ! Un avocat peut-il diffuser son spot publicitaire à la télévision ?
Cet article est garanti sans aucun spoil sur Breaking Bad ou sur Better Call Saul.
« – J’avais un bon boulot jusqu’à ce que mon patron m’accuse de vol. Je ferais mieux d’appeler Saul !
– Je faisais la fête tranquille dans mon coin… – Vous êtes en état d’arrestation ! – Je ferais mieux d’appeler Saul !
Bonjour, je suis Saul Goodman. Savez-vous que vous avez des droits ? La Constitution le dit, et donc moi aussi. Je crois qu’avant d’avoir été déclaré coupable, chaque homme, femme et enfant de ce pays est innocent. Et c’est pourquoi je me bats pour toi, Albuquerque ! »
Ah, ce cher Maître Saul Goodman. Il faut avouer qu’il a vraiment la classe ! Bon d’accord, ses choix vestimentaires sont peut-être douteux… Mais quel aplomb, quel charisme, quels réseaux quelle connaissance du droit ! Ce n’est pas pour rien que Saul Goodman a désormais droit à sa propre série. Sa facilité à s’exprimer ou à en découdre lors des gardes à vue fait certainement pâlir d’envie certains avocats français. Attention toutefois à ne pas le copier jusqu’au bout, vous pourriez avoir des problèmes !
Si l’on écarte ses petites combines caricaturales du métier d’avocat américain (je vous rassure, en France un avocat ne pourrait pas flirter autant avec les milieux mafieux sans être pénalement et disciplinairement sanctionné), Saul a un petit quelque chose en plus qui fait de lui un avocat hors du commun : son sens de la communication ! À Albuquerque, vous ne ferez pas 100 mètres sans tomber sur l’un de ses gigantesques panneaux publicitaires. Son bureau est d’ailleurs surmonté d’une statue gonflable d’une dizaine de mètres de haut ! Mais ce qui est le plus frappant dans son plan de communication, c’est bien son spot publicitaire diffusé sur les chaines de télévision locale. Impossible de l’oublier ! Better call Saul ! D’où la question qui nous réunit aujourd’hui : un avocat pourrait-il, en France, diffuser un spot publicitaire à la sauce Saul Goodman ?
L’ouverture de la publicité à la profession d’avocat
On pourrait penser à première vue que rien n’empêcherait un avocat de faire sa publicité à la télévision. Après tout, on voit tout et n’importe quoi à la télé. La vérité est, comme d’habitude, bien plus compliquée que cela.
Il faut savoir que la profession d’avocat est une profession réglementée. Ce n’est pas pour faire joli : cela signifie qu’on ne peut pas y accéder en claquant des doigts ou en se contentant de signer un papier. L’accès à la profession est strictement encadré, de même que l’exercice de la profession. Ainsi, tout au long de l’exercice professionnel, l’avocat devra respecter des règles de conduite strictes, appelées règles déontologiques, ou déontologie tout simplement.
Autre chose à savoir avant de s’engouffrer dans les règles déontologiques relatives à la publicité : la publicité des avocats est divisée en deux catégories :
la publicité relative à la profession toute entière, c’est-à-dire celle qui vise à promouvoir le métier : elle est assurée par les organes représentatifs de la profession, comme le Conseil National des Barreaux ;
la publicité personnelle de l’avocat, c’est-à-dire celle qui vise à promouvoir un avocat en particulier, ce que l’on peut résumer en caricaturant par « c’est moi le plus beau » : elle est assurée par chaque avocat, pour sa propre personne. C’est de celle-ci que nous allons parler.
Il n’y a pas si longtemps que cela, tout acte de publicité émanant d’un avocat était si encadré qu’en pratique, cela relevait presque de la mission impossible. À peine pouvait-il distribuer ses cartes de visite ! Le problème, c’est qu’une directive européenne de 2006, la bien connue directive Bolkestein, a interdit aux États membres de l’Union Européenne d’interdire totalement l’accès à la publicité à une profession, reprenant à son compte le slogan « Il est interdit d’interdire ». Comme en France, on ne tarde pas à réagir dans ces cas-là, le législateur a alors attendu 8 ans avant de reprendre les dispositions de la directive, comme il y était obligé.
C’est finalement la loi Hamon du 17 mars 2014 qui a autorisé un peu la publicité pour les avocats, en l’encadrant quand même fortement. Un décret du 28 octobre 2014 est ensuite venu préciser la loi sur certains points qui n’étaient pas suffisamment clairs dans la loi.
L’incertitude sur la publicité télévisée
La loi Hamon et son décret d’application permettent à l’avocat de faire de la publicité uniquement si celle-ci procure une information sincère sur la nature des prestations de services proposées. On est donc loin du raz-de-marée annoncé par plusieurs médias qui prédisaient l’envahissement de la publicité des avocats à la télévision, à la radio, sur internet, dans les journaux, sur des affiches dans le métro… Au final, la possibilité pour l’avocat de faire de la publicité est toujours autant encadrée.
Bon, c’est super intéressant, ce que tu nous racontes là, mais je ne vois pas le rapport avec les spots publicitaires de Saul !
Je vais y venir ! Je n’ai pas oublié que le but de cet article était de savoir si un avocat français pouvait, en l’état actuel de la législation, nous offrir un spot publicitaire aussi génial que celui de Saul Goodman !
Concernant les formes dans lesquelles la publicité peut s’opérer, le décret du 28 octobre 2014 renvoie aux « conditions prévues par le décret du 25 août 1972 ». Et là, patatra ! L’article 2 de ce décret de 1972 prévoit la chose suivante :
« La publicité en vue de donner des consultations, de rédiger des actes ou de proposer son assistance en matière juridique ne peut être faite par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées. »
Aïe, le texte dit bien que la publicité ne peut être faite par spot télévisé… Vous êtes déçus ? Better Call Chaton ! Heureusement, j’ai plus d’un tour dans mon sac pour contourner ce texte, et ainsi rallonger considérablement la longueur de cet article !
Une décision du Conseil d’État, qui n’a pas fait grand bruit, a pourtant totalement bouleversé la réglementation en matière de publicité des avocats. Dans un arrêt du 13 décembre 2013, le Conseil d’État a annulé une décision du Ministre de la justice, qui avait refusé d’abroger entre autres l’article 2 du décret de 1972 qui interdit la pub TV. J’invite les plus éminents spécialistes du droit public à nous donner leur point de vue sur l’annulation du refus d’abroger un décret, dans les commentaires de l’article. Pour ma part, et après avoir vérifié auprès de plusieurs sites juridiques, il semblerait bien que l’arrêt du Conseil d’État annule tout simplement cette interdiction vis-à-vis des avocats.
En d’autres termes, plus rien n’empêche un avocat de faire sa publicité via des spots télévisés ! Sous conditions…
Un spot publicitaire émanant d’un avocat pourrait-il être aussi tape-à-l’œil ?
Allez, accrochez-vous, c’est la dernière ligne droite pour savoir si bientôt, on aura droit à des spots TV d’avocats français sur TF1 aussi originaux que celui de Saul Goodman.
Tout d’abord, si l’avocat peut faire sa publicité à la télévision, il doit toutefois respecter le décret du 28 octobre 2014 que l’on a abordé précédemment, et qui limite la publicité possible à celle qui procure une information sincère sur la nature des prestations de services proposées. Là dessus, le spot de Saul Goodman s’avère relativement lacunaire puisqu’il ne procure pas vraiment une information très sincère sur ce que pourrait faire Me Goodman. La seule fois où Saul aborde réellement les prestations qu’il réalise, c’est quand il dit « Je me bats pour toi, Albuquerque », ce qui est assez vague, vous en conviendrez.
Autre chose, le décret de 2014 précise que la mise en œuvre d’une telle publicité par l’avocat doit respecter les principes essentiels de la profession. Derrière ce terme que l’on pourrait considérer comme fourre-tout se cachent en fait 16 principes très importants pour l’avocat : dignité, conscience, indépendance, probité, humanité, honneur, loyauté, désintéressement, confraternité, délicatesse, modération, courtoisie, compétence, dévouement, diligence et prudence.
Et c’est là que ça coince ! Il ne semble pas très délicat, pour un avocat, de diffuser un spot publicitaire dans lequel il y a des dérapages de voiture, une caricature d’emprisonnement, une arrestation avec une policière dont l’uniforme laisse songeur, et d’autres effets spéciaux à rendre pâle George Lucas. D’ailleurs, certains avocats ont déjà été sanctionnés pour des faits à peu près similaires.
Un avocat pourra donc diffuser un spot publicitaire à la télévision, mais en aucun cas aussi original que celui de Saul Goodman.
Bonus : un avocat peut-il faire sa publicité sur des pancartes géantes ?
Un avocat ne peut pas copier le spot publicitaire de Saul Goodman, mais peut-il au moins s’afficher l’index pointé sur vous façon Big Brother is watching you, sur des pancartes de plusieurs mètres de haut ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, une affaire presque similaire s’est déjà produite – du moins concernant les dimensions de la pancarte. Un cabinet montpelliérain avait affiché sur une enseigne d’une taille relativement grande le nom du cabinet. La pancarte était si grande qu’on pouvait la lire sans problème sur la départementale à 100m. L’Ordre des avocats de Montpellier s’en est ému, et le cabinet fut obligé de retirer sa pancarte, jugée disproportionnée.
Vous n’aurez donc aucune chance de voir ceci en France, et c’est quand même mieux comme ça, non ?