Posté par Maître Chaton le 21 juillet 2015

L’aveu sous Veritaserum est-il une preuve recevable en droit pénal ?

« C’est du Veritaserum — un sérum de vérité si puissant que trois gouttes suffiraient à vous faire révéler vos secrets les plus intimes devant cette classe tout entière, reprit Rogue d’un air cruel. L’usage de cette potion est soumis à un règlement très strict du ministère. Mais si vous ne surveillez pas votre conduite, il se peut très bien que ma main glisse par inadvertance — il secoua légèrement le flacon — au-dessus de votre jus de citrouille. Et alors, Potter… nous saurons enfin si, oui ou non, vous vous êtes introduit dans mon bureau. »

Extrait de « Harry Potter et la Coupe de Feu » (chapitre 27, Le retour de Patmol), de J.K. Rowling, tous droits réservés.

L’univers imaginé par J.K. Rowling comporte tellement de choses qui nous seraient bien utiles dans notre monde actuel, fade, sans magie, qu’il m’est impossible d’en dresser une liste exhaustive. À titre d’exemple, qui n’a jamais rêvé de transplaner, au moment où les portes du métro parisien s’ouvrent, un soir de canicule exceptionnelle ? Qui n’a jamais rêvé de trouver une utilité à la cheminée décorative de son salon grâce à la poudre de cheminette ? De lire un exemplaire de la gazette du sorcier ? De suivre le dernier MOOC à la mode pour devenir animagus ?

S’il y a une chose en particulier qui doit retenir l’attention de nos chers membres des forces de l’ordre et autres procureurs de la République, c’est bien la potion de Veritaserum. Imaginez plutôt : trois petites gouttes de cet élixir et plus aucun doute sur l’endroit où il a planqué les corps/a enterré le butin/retient la femme de Mac Taylor. On saurait instantanément qui a tué le Docteur Lenoir. Il y aura quelques petits inconvénients, comme la faillite des producteurs de séries policières, mais c’est un sacrifice acceptable pour être sûr de mettre le vilain sous les verrous et de libérer l’innocent victime d’une erreur judiciaire.

Mais en y réfléchissant bien, un tel moyen d’acquérir la certitude de la commission – ou non – d’une infraction serait-il conforme à tous nos principes encadrant la procédure pénale ? L’utilisation du Veritaserum afin de faire cracher le morceau à un suspect en garde-à-vue n’est-elle pas contraire au droit à l’égalité des armes, au droit de garder le silence, à celui de ne pas être obligé de s’incriminer soi-même ? Ne serait-ce pas là déshumaniser la justice que de la placer sous la tutelle des alchimistes ?

 

Petit retour sur la potion de Veritaserum

La potion de Veritaserum est l’une des potions les plus dangereuses qui soit, même si elle n’est pas mortelle, ni même douloureuse. Jugez plutôt : le Veritaserum est parfaitement inodore et incolore. Il est impossible de déceler du jus de citrouille Veritaserumé d’un jus de citrouille normal. Sauf à être paranoïaque ou extrêmement précautionneux, les chances sont ainsi minces de ne pas boire du Veritaserum si votre pire ennemi s’est juré de vous en glisser subrepticement dans votre boisson préférée.

Fort heureusement, préparer la potion de Veritaserum n’est pas à la portée du premier écolier de Poudlard venu. Elle requiert de mûrir pendant un cycle complet de la lune : pas moyen donc d’improviser un tel élixir lors d’un concours de MasterPotion ou de TopAlchimiste. Surtout, l’usage du Veritaserum est soumis à une réglementation rigoureuse du ministère de la Magie, même si J.K. Rowling n’a pas précisé les conséquences d’une utilisation illicite. On imagine bien qu’utiliser du Veritaserum pour percer les secrets industriels de la fabrication des baguettes magiques ou de la conception aérodynamique de l’Éclair de feu seront sévèrement réprimés par le Magenmagot.

Quoi qu’il en soit, la potion de Veritaserum a été utilisée à plusieurs reprises dans la saga Harry Potter. L’épisode le plus marquant est sans nul doute celui de l’interrogatoire de Barty Croupton Junior par Dumbledore à la fin du tome 4, celui-là même qui m’a incité à m’interroger sur la recevabilité du Veritaserum en droit pénal. Non pas que Barty Croupton Junior aurait eu besoin de solliciter l’annulation de ses aveux sous Veritaserum, puisqu’il a finalement croisé la route d’un Détraqueur un peu trop zélé.

On apprend aussi dans le tome 6 que la potion de Veritaserum n’est pas infaillible, puisqu’il existe un antidote pour en contrer les effets ; Dumbledore nous l’apprend indirectement lorsqu’il s’adresse à Harry dans le chapitre 17 « Un souvenir brumeux », à propos d’Horace Slughorn : « le professeur Slughorn est un sorcier hautement qualifié qui s’attend à l’un et à l’autre, répondit Dumbledore. Il est beaucoup plus doué pour l’occlumancie que ce pauvre Morfin Gaunt et je serais étonné qu’il n’ait pas sur lui en permanence un antidote au Veritaserum depuis que je l’ai poussé à me confier ce simulacre de souvenir ».

Alors, la potion de Veritaserum, utilisable en droit pénal ou pas ?

 

Le Veritaserum, la reine des preuves ?

Avant d’aller plus loin dans l’analyse de la recevabilité du Veritaserum en droit pénal français, il convient de s’attarder sur la notion d’aveu.

L’aveu souffre encore aujourd’hui d’une croyance largement entretenue par les médias et les séries quant à sa force probatoire. Si l’aveu était considéré sous l’ancien régime, selon la formule bien connue, comme « la reine des preuves », cette maxime n’a plus lieu aujourd’hui, comme nous le fait si justement remarquer l’article 428 : « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges ». Exit donc l’aveu placé au sommet de la hiérarchie des preuves ! Il n’est désormais pas plus probant qu’un témoignage ou une attestation…

…En théorie. En pratique, il est relativement difficile de se dépêtrer d’un aveu lors d’un procès pénal. « Le mal est fait » : cette affirmation est d’autant plus vraie aux Assises, où l’aveu d’un présumé innocent joue toujours son petit effet dans l’esprit des jurés, même s’il a été annulé. L’affaire Urbani l’illustre parfaitement : un avocat montpelliérain avait réussi à faire annuler, devant la Cour de cassation, les aveux de son client prononcés lors d’une garde-à-vue sans être assisté de son avocat, violant ainsi les dispositions de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Cass. crim., 17 janvier 2012, n° 11-86.471). L’annulation de ces aveux ne pesa toutefois pas lourd dans la balance de l’opinion des jurés, qui condamnèrent la personne à la réclusion criminelle à perpétuité. Bien entendu, d’autres éléments dans le dossier ont conduit les jurés à prononcer une telle sanction, mais là n’est pas le propos. Il est tout simplement difficile de gommer les effets d’un aveu quand on n’a pas de baguette magique.

Selon l’état actuel du droit, l’aveu n’est donc plus qu’un mode de preuve comme les autres, privé de sa confortable inexorabilité d’antan.

Vous avez lu attentivement l’unique phrase qui compose l’article 428 et vous avez certainement remarqué quelque chose. Où est la définition juridique de l’aveu ? Ô surprise, encore une notion qui n’est pas définie par le Code de procédure pénale ! Diantre, mais que fait le législateur !? Pas de panique, comme d’habitude, la doctrine a supplanté la carence de ce dernier et a proposé toutes sortes de définitions. J’en retiens celle de Gérard Cornu : l’aveu est la reconnaissance, par la personne soupçonnée, de sa culpabilité quant aux faits qui lui sont reprochés. Gérald Pandelon précise dans sa thèse disponible sur Internet dont j’ai lu l’introduction (parce que lire les 418 pages, très peu pour votre pauvre petit chaton) que « l’aveu doit être libre et spontané […]. Car l’essence de l’aveu demeure la liberté : il doit être recueilli dans le respect de celle-ci ».

Liberté, aveu, aveu, liberté, Veritaserum, vous voyez le rapprochement ?

L’essence même du Veritaserum est de plonger celui qui l’ingère dans un état à la limite de la transe : la volonté de la personne est annihilée par une docilité imposée. Ses réponses aux questions posées sont formulées sans hésitation, presque automatiquement. Il n’y a plus de liberté sous l’emprise du Veritaserum (cf. toutefois la partie bonus). Avouer sous Veritaserum pourrait-donc être comparé à avouer sous la torture, puisqu’initialement, on ne veut pas avouer, mais qu’on nous force à le faire quand même, contre notre volonté.

 

« Vous avez le droit de garder le silence, enfin vous pouvez toujours essayer » dit Horatio Caine en sortant de sa poche une fiole de Veritaserum

Outre le fait que le Veritaserum semble incompatible avec le principe même de l’aveu, censé être volontaire, l’utilisation de cet élixir viole par ailleurs plusieurs principes de notre procédure pénale.

Le droit de se taire, tout d’abord. L’article 116 du Code de procédure pénale précise ainsi qu’un juge d’instruction doit, avant tout interrogatoire, informer la personne entendue de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Le droit de ne pas participer à sa propre incrimination, dérivé du droit de se taire, est également bafoué par l’utilisation du Veritaserum. Il découle directement de la présomption d’innocence : une personne placée en garde-à-vue reste innocente, elle a donc tout à fait le droit de ne rien dire, puisqu’il revient exclusivement à l’accusateur d’apporter la preuve de son éventuelle culpabilité.

La Cour européenne des droits de l’Homme n’a de cesse de rappeler ces principes indirectement consacrés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Il est ainsi obligatoire de notifier à une personne placée en garde-à-vue son droit de se taire (CEDH, 24 oct. 2014, n° 62880/11, Navone c/ Monaco).

Croyez-moi ou non, mais la Cour de cassation s’est déjà prononcée dans une affaire similaire à la notre. Bon d’accord, il n’y avait pas vraiment de Veritaserum, mais c’est tout comme.

Si je caricaturais, je définirai le Veritaserum de la sorte : « vos paupières sont lourdes, lourdes, vous vous endormez… ». Vous voyez où je veux en venir ? Le Veritaserum n’est ni plus ni moins qu’une hypnose magique ! Le procédé est le même : on plonge la personne dans une sorte de transe, sans lui permettre de se défendre ou de « désobéir » à la volonté de l’hypnotiseur. Et ça, la Cour de cassation n’aime pas du tout ! Elle a ainsi désavoué un juge d’instruction qui avait placé sous hypnose à gardé-à-vue, au motif que « le procédé consistant à faire entendre sur commission rogatoire, délivrée à des officiers de police judiciaire, une personne suspectée, placée en garde à vue, et à la faire, dans ces conditions, interroger par un psychologue conseil, sous couvert d’une mission d’expertise, viole les dispositions légales relatives au mode d’administration des preuves et compromet l’exercice des droits de la défense » (Cass. crim., 28 nov. 2001, n° 01-86.467). Gageons que le juge d’instruction en question ne serait pas contre l’instauration des auditions sous Veritaserum…

Il y a donc fort à parier que la Cour de cassation considère que tout témoignage, déposition, audition ou aveu sous l’emprise du Veritaserum heurte les sacrosaints droits de la défense et les dispositions légales relatives au mode d’administration des preuves. Le Veritaserum ne peut donc être utilisé en droit pénal, et c’est tant mieux !

 

Bonus : le Veritaserum était-il utilisé par le Magenmagot ?

Le monde d’Harry Potter est riche de petits détails disséminés ici et là par J.K. Rowling pour lui donner l’aspect le plus réel possible. On pense bien sûr au fait que les sorciers ne dérogent pas aux autres êtres humains en ce qu’ils ont reconnu la prééminence du Droit sur le reste : la magie est ainsi canalisée par la règle de droit, encadrée, limitée pour éviter tout débordement. Les apprentis sorciers n’ont ainsi pas le droit d’utiliser la magie en dehors de leur école, il est également interdit de recourir aux sortilèges impardonnables, et certaines potions, comme le Veritaserum, sont strictement réglementées.

Justement, que dit la réglementation relative au Veritaserum ? Selon le site pottermore utilisé par J.K. Rowling pour continuer à faire vivre son petit univers, le Veritaserum ne peut pas être utilisé au cours d’un procès devant le Magenmagot, car certains sorciers peuvent se protéger de ses effets en scellant leur gorge, transformer la potion en un léger thé sucré ou pratiquer l’occlumancie et ainsi produire de fausses déclarations. D’autres sorciers bien moins doués en sont incapables. J.K. Rowling explique ainsi qu’utiliser du Veritaserum lors d’un procès s’avérerait injuste vis-à-vis de ceux qui ne peuvent se prémunir de ses effets, en plus d’anéantir toute force probante à la chose, puisque certains sorciers peuvent contourner l’élixir.

J.K. Rowling explique ainsi que le Veritaserum n’a pas été utilisé pour innocenter Sirius Black, condamné à la prison à perpétuité à Azkaban. On peut regretter que l’auteur n’ait pas invoqué les droits de la défense comme raison supplémentaire pour bannir le Veritaserum des procès chez les sorciers. Cela pourrait bien conduire votre serviteur à s’interroger sur la validité de la procédure pénale des sorciers au regard de nos standards de Moldus, mais il faudra attendre le prochain épisode !

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