Le petit guide de survie du juriste à Zombieland
Par Maître Chaton
Sommaire
Introduction – Se poser les bonnes questions
Partie 1 – Le zombie a-t-il la personnalité juridique ?
Partie 2 – Est-ce un crime de tuer un zombie ?
Partie 1 – Le zombie a-t-il la personnalité juridique ?
Cet article aborde l’épisode 6 de la saison 1 de The Walking Dead.
Cela fait bientôt deux mois que la Zombie-Apocalypse s’est produite. Deux mois déjà que vous vous terrez dans votre appartement, à essayer de faire le moins de bruit possible pour ne pas les réveiller. Deux mois déjà que vous tentez de survivre tant bien que mal, et il faut dire que vos réserves de boîtes de conserve commencent à s’amenuiser sérieusement. Au début, vous trouviez ça plutôt exaltant comme concept, la Zombie-Apocalypse. Cela vous changeait de votre traintrain quotidien du métro-boulot-dodo.
Mais là, vous n’avez pratiquement plus rien à manger et presque plus de cartouches dans le pistolet que vous avez trouvé dans l’ancien commissariat de la ville. Les Zombies, eux, sont toujours là, et ils ne connaissent ni la faim ni le sommeil. Autant dire que la lutte commence à être vraiment difficile. Puis, dans l’une de vos rêvasseries, votre passé de juriste ressurgit et vous envisagez la possibilité d’un armistice, d’un cessez-le-feu négocié avec les Zombies. Vous retrouvez vite la raison : vous n’avez pas encore croisé de Zombie qui ne veuille pas vous dévorer à vue, alors de là à signer un accord de paix… Et puis d’abord, juridiquement, comment matérialiser un tel accord ? Par une convention, comme à l’époque des guerres mondiales ? Soudain, vous vous remémorez vos premières années de droit civil, les conditions de conclusion du contrat avec notamment la capacité juridique. Mais oui, puisqu’on en parle ! Les Zombies ont-ils la personnalité juridique ?
Le début de la personnalité juridique
La personnalité juridique… sous ce terme assez étrange ne se cache pas une psychanalyse des juristes mais l’un des fondements du droit civil. Il s’agit d’une notion un peu abstraite selon laquelle chaque personne disposant d’une telle personnalité est titulaire de droits et assujettie à des devoirs. Autrement dit, elle permet à chaque personne qui en bénéficie de conclure des contrats et de payer ses impôts. Sans personnalité juridique, il est tout bonnement impossible d’acheter, de vendre, ou même d’agir en justice !
Pour déterminer si le zombie a oui ou non la personnalité juridique, il convient tout d’abord de faire un petit retour en arrière, lorsqu’il s’agissait encore d’un être humain innocent qui ne mangeait pas ses semblables dès qu’il en avait l’occasion.
Aussi étonnant que cela puisse paraître (ou pas…), le législateur n’a jamais arrêté noir sur blanc le moment précis où une personne acquérait cette personnalité juridique, mais en analysant les articles 55 à 59 du Code civil, les auteurs et la jurisprudence se sont accordés à dire que la personnalité juridique débutait à la naissance de l’être humain. Là n’est pas la seule condition : l’enfant doit en outre être né vivant et viable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être mort-né ou être né sans disposer de tous les organes nécessaires à sa survie.
Parfois, la date précise où l’enfant acquiert la personnalité juridique varie légèrement et se situe avant sa naissance, mais uniquement dans l’intérêt de l’enfant et lorsqu’il nait par la suite vivant et viable.
Dans notre cas, le zombie était autrefois un être humain. S’il a réussi à vivre jusqu’à avoir la chance extraordinaire de se transformer en zombie, c’est donc qu’il était bien né vivant et viable ! Ainsi, si nous nous arrêtions là, le zombie disposerait de la personnalité juridique. Mais ce serait ignorer totalement la phase au cours de laquelle l’être humain s’est transformé en zombie !
La qualification juridique de la transformation en Zombie
Étudions maintenant l’effet de la transformation du pauvre être humain en vilain zombie. Attention, pour cela, nous allons aborder un épisode clé de la saison 1, à savoir le dernier, le n° 6. Si vous n’avez toujours pas vu cet épisode alors qu’à l’heure où j’écris ces lignes, l’épisode 12 de la saison 5 sort aux États-Unis, ne poursuivez pas votre lecture de l’article !
Partons du constat suivant : dans la série télévisée The Walking Dead, on ne passe pas immédiatement du statut d’être humain vivant à celui de zombie. Il faut en effet que le sujet en question meure (de n’importe quelle cause) pour qu’ensuite, après une brève période de quelques dizaines de secondes, il se réveille du mauvais pied, transformé en zombie. Cette période entre la vie « normale » et celle de zombie met-elle fin à sa personnalité juridique ? S’agit-il d’une véritable mort au sens juridique du terme ?
Je vous préviens par avance, la suite de l’article ne va pas être très joyeuse !
Aussi étonnant que cela puisse paraître (ou pas… on commence à en avoir l’habitude !) le législateur n’a pas non plus précisé noir sur blanc dans le Code civil la définition juridique de la mort. En fait, celle-ci a varié au gré des avancées scientifiques. Il y a encore quelques années, on considérait que l’arrêt durable du cœur marquait la mort de l’individu. Puis, avec le progrès de la réanimation cardiaque, le législateur a finalement retenu la mort cérébrale comme véritable élément déclencheur de la mort clinique.
C’est l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique qui précise les conditions cumulatives à réunir pour qu’un individu soit considéré comme cliniquement mort :
« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
1° Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
3° Absence totale de ventilation spontanée. »
Il faut donc que les trois conditions précitées soient simultanément présentes pour que la mort clinique puisse être constatée. Voyons maintenant si c’est effectivement le cas pour les zombies !
Dans le dernier épisode de la saison 1, le Dr Edwin Jenner, responsable du CDC, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, confie à Rick Grimes le résultat de ses études sur la transformation en zombie du sujet n° 19. On apprend ainsi, via des scanners, que le cerveau puis les organes vitaux cessent de fonctionner. Puis, après une période d’attente qui varie de quelques secondes à plusieurs heures, le Dr Jenner nous apprend que le tronc cérébral du cerveau de l’individu va se réactiver et progressivement réanimer l’ensemble du corps humain, à l’exception toutefois des autres zones du cerveau, ce qui explique que les zombies sont aussi peu empathiques envers les personnes qu’ils pourchassent.
Ainsi, si l’on s’en tient à une approche juridique pure, chaque zombie serait donc au préalable passé par un état de mort clinique.
Wow on se calme ! J’ai dit effectivement que le zombie était mort cliniquement au sens juridique du terme… mais je n’ai pas fini !
L’incidence de la transformation en zombie sur la personnalité juridique
« Les morts ne sont plus des personnes, ils ne sont rien » avançait Planiol. Encore faut-il être vraiment mort !
Pour éviter de déclarer morte une personne encore en vie, l’article R. 1231-2 du Code de la santé publique prévoit dans certains cas qu’un deuxième électroencéphalogramme soit réalisé, dans un délai minimal de quatre heures. La Cour de cassation exige d’ailleurs que les constatations médicales apportent des « preuves suffisantes du caractère irrémédiable des lésions cérébrales incompatibles avec la vie » (Civ. 1ère, 7 janv. 1997, n° 94-20.135).
Bien qu’aucun auteur ne se soit penché sur la question du zombie, ce qui est assez compréhensible, ce sont bien les lésions cérébrales incompatibles avec la vie qui vont nous permettre de trancher en faveur de la mort juridique du zombie. En effet, il est dit dans l’épisode précité que seul le tronc cérébral continuera à fonctionner, le reste du cerveau subira le même sort que les autres organes vitaux. À vous de voir donc : considérez-vous la seule activité du tronc cérébral comme suffisamment compatible avec la vie alors que le reste du corps tombe en ruine, ou bien considérez-vous que la mort est actée ? Quoi qu’il en soit, cela n’a aucune incidence sur la personnalité juridique au final…
Aussi étonnant que cela puisse… bon, d’accord, j’arrête. Le législateur n’a pas non plus adopté de texte prévoyant noir sur blanc que la mort d’un individu met fin à sa personnalité juridique.
Les auteurs juridiques et la jurisprudence se sont rattachés à l’article 720 du Code civil, qui dispose que « les successions s’ouvrent par la mort, au dernier domicile du défunt » pour estimer que la mort annihile la personnalité juridique.
Cependant, dans cet article, le mot « mort » ne renvoie pas à la mort clinique que nous avons abordée précédemment, mais à la mort constatée médicalement et dressée dans un acte de décès établi par un officier de l’état civil, conformément aux articles 78 et suivants du Code civil.
Et oui ! Tant que cet acte de décès n’est pas dressé, il n’est pas mis fin à la personnalité juridique, même si l’individu qui en bénéficie est, dans les faits, véritablement mort.
Si l’acte de décès fait défaut, il faudra alors l’intervention d’un jugement qui, selon l’article 88 du Code civil, déclarera le décès lorsque la personne a disparu lors d’un évènement catastrophique comme une Zombie-Apocalypse, ou qui constatera l’absence de la personne depuis une période fixée à dix ou vingt ans selon les cas. La déclaration d’absence aura alors le même effet qu’un décès.
J’ai donc une bonne et une mauvaise nouvelle. Il y a fort à parier que l’officier d’état civil et le juge se soient transformés en zombie pendant l’apocalypse ! Du coup, en l’absence d’acte de décès ou de jugement de déclaration de décès ou d’absence, aucun acte, aucune décision n’a mis fin à la personnalité juridique du zombie !! Vous pourrez donc conclure une trêve et en obtenir l’exécution forcée devant un tribunal si votre cocontractant zombie ne s’y plie pas… dans l’hypothèse peu probable où vous obtenez le consentement libre et éclairé du zombie en question…
3 commentaires
Peut on mettre un zombie sous tutelle ? Si oui, avec qui doit on passer cet accord ?
Bravo pour cet éclairage avisé en tout cas !
Je ne donne pas cher de la peau du juge chargé d’entendre le zombie en cas de mise sous tutelle !
Merci pour le compliment 🙂
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