Daenerys est-elle responsable des dommages causés par ses dragons ?
Cet article aborde des informations minimes sur la saison 4 de Game of Thrones.
Attention, dragon dangereux ! Daenerys aurait dû écouter les mises en garde d’Illyrio Mopatis, quand il lui a offert les trois œufs de dragon. C’est qu’elles mordent, ces bestioles-là ! Mais que peut-on refuser à trois petits dragonnets tous mignons tous gentils ? Il suffit de croiser leur regard attendrissant à l’heure du repas pour avoir immédiatement envie de leur donner un petit bout du plat de résistance.
Alors forcément, quand ces petites bêtes grandissent un peu, on a tendance à tout leur pardonner. Viserion a brûlé la clôture du jardin ? Oh allons, il ne ferait pas de mal à une mouche. Rhaegal a carbonisé la chèvre du voisin ? Je ne peux pas lui en vouloir, il est tellement mignon avec ses petites ailes vertes. Drogon a mangé tout cru le facteur ? Il y a sûrement une explication rationnelle à cela, Drogounet a du se sentir menacé et le facteur ressemblait peut-être à un Lannister avec sa tignasse blonde. Comment ça une assignation devant le tribunal de grande instance de Meereen ? Quoi, une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Braavos ? Vous êtes gonflés, on parle quand même de Daenerys Targaryen, la Khaleesi ! On n’assigne pas Daenerys comme ça.
Article 1385 alinéa 2 du Code civil : responsabilité civile du fait des dragons
À la demande de Jo’h Zébovay, né le 28 juillet 1952 à Meereen, de nationalité Meereenoise, exerçant la profession d’éleveur de chèvres, demeurant Petite cabane en bois calciné, 1 bis chemin des prés, Meereen, j’ai, Maître Mah Chain, huissier de justice, donné assignation à Madame Daenerys Targaryen-Drogo d’avoir à comparaître devant le tribunal de grande instance de Meereen situé 1 rue du tribunal, à l’audience du 12 avril 2015 à 21h.
Je ne suis pas sûr que Daenerys apprécie. D’ailleurs, je n’envie pour rien au monde les magistrats chargés de régler cette affaire. Encore moins l’huissier de justice qui ira notifier la décision du tribunal de grande instance, parce qu’il y a de grandes chances pour que celle-ci soit défavorable à la Khaleesi.
Bien sûr, aucun article du Code civil ne règle la situation des dragons, j’ai menti. L’alinéa 2 de l’article 1385 n’existe pas (encore). Mais parce que le Code civil est particulièrement bien foutu, il y a quand même un article que l’on peut opposer à Daenerys du Typhon :
« Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »
Les trois conditions classiques de la responsabilité sont applicables : une faute, un dommage, un lien de causalité. Je ne les développerai pas ici par manque de temps et d’intérêt pour notre sujet du jour, mais sachez que la responsabilité du fait des animaux est une responsabilité dite sans faute. Ainsi, même sans avoir commis de faute, le propriétaire d’un animal pourra être contraint à dédommager une victime.
Le dommage et le lien de causalité ne font ici aucun doute : ce pauvre éleveur de chèvres s’est retrouvé avec un stock de steaks cuits à point après le passage des trois dragons de Daenerys. La seule condition qui pourrait être débattue ici est la responsabilité sans faute de Daenerys. Le texte cible le « propriétaire d’un animal ». Comment peut-on posséder un dragon ? Et d’ailleurs, un dragon est-il un animal ? Quels sont les critères à réunir ?
Cela fait un certain nombre de questions à traiter. Sur la qualité d’animal, tout d’abord. La jurisprudence vise en premier lieu les animaux domestiques, qu’elle définit comme « les êtres animés qui vivent, s’élèvent, sont nourris, se reproduisent, sous le toit de l’homme et par ses soins » (Cass. crim., 14 mars 1861). Est-ce le cas de nos trois dragons ? Oui ! Ils sont nés grâce à Daenerys – et un peu à Khal Drogo, merci à lui – sont nourris et élevés par Daenerys sous son toit. Quant à la reproduction, je ne suis pas spécialiste de la vie sexuelle des dragons 😉
Quand même, le dragon, un animal domestique ? C’est un peu difficile à avaler !
C’est difficile à croire, je sais, mais cela n’a aucune importance. En effet, la jurisprudence considère également que les animaux sauvages, tant qu’ils sont domestiqués, sont également visés par l’article 1385 (Cass. crim., 11 janv. 1967 : à propos d’un éléphant). Et quand on regarde Daenerys gratter le menton de Drogounet, on ne peut pas sérieusement prétendre qu’il s’agit d’animaux sauvages ! Ils sont tellement mignons !
Quant à la question de propriété des dragons, même si nos chers députés estiment depuis quelques mois que les animaux domestiques sont des êtres vivants doués de sensibilité, ils restent avant tout des meubles ! À ce titre, ils peuvent faire l’objet de contrats, de transferts de propriété. Et c’est exactement ce qui s’est passé lorsque Illyrio Mopatis a fait don des trois œufs de dragon à Daenerys pour son mariage.
Les dragons de Daenerys sont donc concernés par l’article 1385. Pour démontrer que Daenerys est civilement responsable des dommages causés par ses dragons aux éleveurs du coin, et pour vous achever de vous convaincre, j’ai trouvé – après des heures et des heures de recherche – une décision de la Cour de cassation qui colle parfaitement à notre situation ! Bon d’accord, il n’est pas ici question de dragons mais de pigeons… Mais quand même ! La Cour a ainsi jugé responsable le propriétaire de pigeons qui avaient endommagé une récolte de tournesols (Cass. 2e civ., 24 mai 1991).
Alors Daenerys, tu fais moins la maligne, hein ? Tu n’es pas au bout de tes peines !
Atteinte à la sécurité du fait de la divagation de dragons dans la nature
Daenerys est civilement responsable des dommages causés par ses dragons. Mais l’est-elle aussi pénalement ? Une disposition du Code pénal existe-t-elle pour condamner le propriétaire de méchants dragons ?
Navré Daenerys, mais j’espère que ton compte en banque est bien pourvu, sinon tu vas devoir demander un prêt à la Banque de Fer de Braavos. En effet, le premier alinéa de l’article R. 622-2 punit le propriétaire d’animaux dangereux :
« Le fait, par le gardien d’un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes, de laisser divaguer cet animal est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. »
Même si les dragons de Daenerys sont de charmantes petites créatures qui donnent envie de leur gratter derrière l’oreille et de leur offrir un joli nonoss, elles n’en demeurent pas moins dangereuses. Le sont-elles toutefois au sens de l’article précité du Code pénal ? Oui ! La Cour de cassation a notamment estimé que l’animal se jetant spontanément sur les personnes pour les mordre est un animal dangereux au sens de R. 622-2 du Code pénal (Cass. crim., 19 mars 1992, n° 91-81.323).
De même, l’article R. 622-2 joue lorsque l’animal dangereux divague dans la nature, et le propriétaire est alors pénalement responsable lorsqu’il n’a pas pris de dispositions suffisantes pour empêcher ses animaux de sortir du jardin (T. corr. Béziers, 8 juill. 1981). Dois-je développer ou le visionnage de la saison 4 de Game of Thrones suffit à vous convaincre ?
Bon, ok, Daenerys est pénalement responsable. Mais vu que le texte ne prévoit qu’une contravention de 2ème classe, soit 150 euros au plus, elle s’en sort bien !
C’est vrai, financièrement peut-être. Mais l’alinéa 2 de l’article R. 622-2 est bien plus embêtant :
« En cas de condamnation du propriétaire de l’animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal peut décider de remettre l’animal à une œuvre de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer. »
Devinez-quoi ! On me dit dans l’oreillette qu’une Société de Protection des Dragons s’est récemment constituée à Port Réal ! Les Lannister pourront légalement se saisir des trois dragons de Daenerys ! Et il y a pire…
Bonus : Dracarys !
L’article R. 622-2 du Code pénal n’est pas le seul texte susceptible d’être opposé à la Khaleesi. Il y a aussi le premier alinéa de l’article R. 623-3 :
« Le fait, par le gardien d’un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes, d’exciter ou de ne pas retenir cet animal lorsqu’il attaque ou poursuit un passant, alors même qu’il n’en est résulté aucun dommage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe. »
Vous vous souvenez de la scène où Daenerys hurle DRACARYS à son dragon pour qu’il crache deux-trois flammes bien senties à de vilains esclavagistes ? Si ça, ce n’est pas de l’excitation d’animal dangereux, alors il vous en faut beaucoup ! Ainsi, le simple fait de dire Dracarys à son dragon de compagnie pour qu’il crache quelques flammes vous vaudra une amende de 3ème classe, soit 450 euros au plus.
Mais il y a encore pire ! Daenerys pourrait être condamnée pour violences volontaires au sens de l’article 222-7 du Code pénal. La jurisprudence l’estime en effet lorsque le propriétaire de l’animal a lancé celui-ci contre un tiers pour le mordre (Cass. crim., 7 avr. 1967). L’animal n’est alors considéré que comme un instrument utilisé par son propriétaire pour porter volontairement atteinte à l’intégrité physique de la victime. D’ailleurs, l’alinéa 4 de l’article 132-75 du Code pénal dispose que « l’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l’usage d’une arme ».
Daenerys est donc dans de beaux draps.
Face au risque de condamnation civile et pénale, Daenerys a décidé d’échanger ses dragons contre des cotons tiges géant vert.
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