Le petit guide de survie du juriste à Zombieland
Par Maître Chaton
Sommaire
Introduction – Se poser les bonnes questions
Partie 1 – Le zombie a-t-il la personnalité juridique ?
Partie 2 – Est-ce un crime de tuer un zombie ?
Partie 2 – Est-ce un crime de tuer un zombie ?
Cet article est garanti sans aucun spoil sur The Walking Dead.
Venez à Paris, qu’ils disaient, c’est ici que tout se passe. C’est bien gentil tout ça mais après une Zombie-Apocalypse, ça fait quand même plus de deux millions de zombies à se coltiner. Vous me direz que vous ne voyez pas de très grande différence entre un parisien et un zombie – même sourire inexistant, même amabilité, même propension à vous sauter dessus pour un regard en coin – et quelque part, ça se défend. Mais je n’entrerai pas dans ce débat-là, restons concentrés sur notre interrogation du moment : est-ce un crime de tuer un zombie ?
C’est une question inévitable que vous finirez par vous poser, vous le Dernier Juriste, le Survivant. Dommage pour vous, l’intérêt de la réponse n’est pas purement théorique, puisque pour survivre dans un environnement aussi hostile que Zombieland, vous avez dû en fracturer des crânes à coup de Code civil ou de GAJA… Mais alors, avez-vous commis l’innommable ? Vous êtes-vous rendu coupable d’un meurtre ?
Être ou ne pas être, telle est la question
Si vous avez bien suivi ce qui a été dit précédemment, le zombie est a priori un être doué de la personnalité juridique, autrement dit un être qui juridiquement est encore vivant, puisqu’aucun acte juridique n’est venu mettre un terme à sa personnalité juridique. Cependant, selon les circonstances de sa transformation en zombie – si celle-ci est intervenue au bout de trente minute ou si elle a dépassé le délai légal pour que deux encéphalogrammes plats puissent être constatés – le zombie peut être considéré comme vivant ou mort. Ainsi, un esprit malin pourrait être tenté de plaider que même en l’absence de constat de décès ou de déclaration judiciaire de décès, le zombie était déjà mort avant que vous ne lui ayez réglé son compte. Si l’on considère que le zombie est un être mort bien que doué de la personnalité juridique, cela a-t-il une incidente en droit pénal ?
Tout d’abord, un bref rappel des diverses qualifications pénales possibles en matière d’homicide s’impose. On y retrouve ainsi principalement l’homicide involontaire et l’homicide volontaire. Pour ne pas complexifier le débat, je n’aborderai pas d’autres infractions pouvant s’y rapporter, comme les violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner. D’ailleurs, ce serait inutile, je vous ai bien observé depuis le début de la Zombie-Apocalypse, et si les premières fois où vous avez « ôté la vie » de ces morts-vivants étaient dictées par l’urgence de la situation (« c’était lui ou moi »), je pense qu’on est tous d’accord pour dire que désormais, chaque zombie qui croise votre route en prend pour son grade. C’est d’ailleurs devenu un réflexe chez vous, une sorte d’instinct animal que vous avez acquis au cours de votre nouvelle carrière de survivaliste : dès que vous voyez un zombie s’approcher un peu trop près de votre espace vital, vous brandissez votre machette, bandez votre arc ou visez au pistolet silencieux pour sécuriser la situation. Vous avez d’ailleurs adopté une nouvelle maxime : « un bon zombie est un zombie mort », ce qui littéralement est un léger pléonasme, mais passons.
Vous l’avez donc compris, vous êtes désormais un adepte de la doctrine américaine : on tire d’abord, on réfléchit après. On peut donc s’accorder sur le fait que vos actes relèvent plus de l’homicide volontaire que de l’involontaire. Dès lors, il nous faut aborder les deux sous-catégories de l’homicide volontaire, à savoir le meurtre et l’assassinat. Pour faire simple, l’assassinat est l’homicide volontaire avec préméditation : vous avez préparé votre forfait de longue date, sélectionné soigneusement les lieux du crime, élaboré une stratégie d’attaque, bref votre décision est mûrement réfléchie. Le meurtre, c’est l’homicide volontaire simple – bien que la simplicité ici soit toute relative… – c’est-à-dire sans l’avoir préparé, planifié, prémédité. Nous considérerons donc que vos exactions contre ces pauvres zombies qui n’ont rien demandé d’autre qu’un peu de chair fraîche constituent des meurtres et non pas des assassinats.
Peut-on tuer une personne déjà morte ?
L’article 221-1 du Code pénal définit le meurtre comme « le fait de donner volontairement la mort à autrui » et le punit d’ailleurs de trente ans de réclusion criminelle. L’une des caractéristiques du meurtre est donc le fait d’ôter la vie ; entre d’autres termes, votre action a eu la conséquence mécanique de rendre une personne, jusqu’alors vivante, morte.
Je suis content de voir que vous suivez un peu ! Oui, vous avez raison, selon les circonstances du « réveil du zombie », il peut très bien être mort mais bénéficier encore de la personnalité juridique en l’absence de certificat de décès. Si l’on oublie un peu la question de la personnalité juridique, et que l’on retient uniquement le fait que le zombie n’est plus qu’un ancien être humain mort depuis longtemps, cela nous exonère-t-il de toute responsabilité pénale ?
Il est en effet relativement difficile de « donner volontairement la mort à » quelqu’un qui est déjà mort, je pense qu’on peut tous s’accorder sur ce constat !….. Croyez-le ou non, mais ce débat que nous venons de trancher en une phrase a déchiré la doctrine, et ce depuis longtemps. Certains estimaient que tuer quelqu’un, même s’il était déjà mort, constituait tout de même un homicide. D’autres considéraient cela absurde, illogique, et parlaient même d’ « infraction impossible ». Nul besoin d’être un ponte en droit pénal pour comprendre pourquoi on ne pouvait pas ôter une seconde fois la vie à quelqu’un qui était déjà mort…
À première vue, le fait de vouloir tuer quelqu’un qui est déjà mort paraît assez idiot. Puisqu’il est mort, pourquoi s’embêter ? Et pourtant… Y’en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes. Dans un célèbre arrêt Perdereau (Cass. crim., 16 janvier 1986, n° 85-95.461), la Cour de cassation a estimé, accrochez-vous, que l’homme qui exerce sur une personne morte des violences dans l’intention de lui donner la mort, parce qu’il la croit encore en vie, commet une tentative de meurtre. Peu importe alors que la victime soit déjà décédée, puisque cela ne changeait rien à la volonté du meurtrier de la tuer.
Le fait de commettre des violences à l’encontre d’un cadavre constitue donc une tentative de meurtre, sous deux conditions cumulatives :
- on pense que la victime est toujours vivante ;
- on a l’intention de lui donner la mort.
Si votre intention de donner la mort aux zombies qui croisent votre route ne fait aucun doute, c’est surtout la première condition qui est importante ici. Selon que vous pensiez que le zombie que vous avez abattu était vivant ou mort, vous pourrez alors être condamné pour meurtre ou non.
Je vous conseille donc de plaider plutôt pour le fait que vous considériez le zombie comme un mort plutôt qu’un vivant ! Dans le cas inverse, ou si vous n’avez pas suffisamment convaincu la Cour d’assises, vous aurez commis un meurtre, vilain criminel !
Allez-vous croupir en prison pour avoir tué un zombie ? N’y a-t-il pas un autre argument à soulever pour sa défense ? Quid de la légitime défense ? Vous le saurez… au prochain épisode.
To be continued…